Introduction
Le plan de relance de l’économie européenne en réaction à la crise de la COVID-19 (aussi appelé «Next Generation EU» dont le principal instrument est la Facilité pour la Reprise et la Résilience, plus connu sous l’acronyme «RRF») et la politique de cohésion ont des objectifs différents: le premier doit aider la reprise et la résilience de nos économies face à l’impact de la COVID-19, tandis que le second doit promouvoir la cohésion économique, sociale et territoriale entre les États membres et les régions.
Après l’accord sur les ressources disponibles lors du Conseil européen de décembre 2020, l’UE a rapidement approuvé, en février 2021, le règlement lié au RRF. La finalisation des textes juridiques, «le règlement portant dispositions communes» (RPDC ou CPR pour l’abréviation anglaise) ainsi que les règlements spécifiques, ont quant à eux dû attendre la fin du mois de juin 2021. Cette avance a permis à la plupart (désormais 26 sur 27) des Etats membres de rédiger et de soumettre leurs plans de relance nationaux mais a ainsi inévitablement retardé la nouvelle programmation des fonds structurels.
Les ressources mises à disposition par le NGEU au RRF sont considérables (€672 Milliard) et s’ajoutent à celles prévues par le Cadre financier pluriannuel pour la politique de cohésion (€330 Milliard)[1]. Dès lors, se pose la question de l’utilisation de ces ressources pour la transition digitale et environnementale, de leur complémentarité, et enfin, des capacités d’absorption réelles des bénéficiaires publics et privés.
Pourquoi la complémentarité est-elle si importante? Parce qu’il est essentiel que les plans RRF, ainsi que les programmes des fonds structurels, puissent être réalisés et donner les résultats escomptés à temps. D’un côté, le gaspillage de ressources n’est pas une bonne idée en période d’assainissement budgétaire, mais de l’autre, les besoins de financement sont énormes. Pour cela, il est nécessaire d’assurer à la fois la bonne complémentarité et, autant que faire se peut, les synergies entre les deux «project pipelines». C’est seulement ainsi que nous pourrons écarter les craintes initiales quant à un RRF puisant dans le «project pipeline» de la cohésion, le vidant de facto de son contenu.
Cette note interroge le principe de complémentarité entre les plans de relance nationaux et les programmes de la politique de cohésion: Sont-ils concurrents ou alliés? Sont-ils engagés sur des voies parallèles? Quelles démarcations et synergies peuvent être tracées entre ces deux instruments? Quelles stratégies peuvent être adoptées pour assurer l’éligibilité des dépenses des projets? Nous analysons ici les méthodes de mise en œuvre pratiques de ce principe et discutons les alternatives concrètes afin de conjuguer (ou non) le soutien des deux fonds dans les projets eux-mêmes.
Quelles sont les règles et les limites du principe de complémentarité?
Les règlements RRF et le Règlement portant dispositions communes RPDC ou «CPR» ne donnent que des dispositions génériques. Les autorités de la politique de cohésion ont toutefois un peu plus d’expérience car le principe n’est pas nouveau et existait déjà dans les programmations des fonds structurels précédentes.
L’article 28 du règlement RRF prévoit la complémentarité, les synergies et la cohérence entre les ressources du RRF et les autres instruments financiers nationaux ou bien communautaires. Cet article exige en particulier des Etats membres un effort d’optimisation pour éviter le double-emploi des instruments ainsi que la coopération entre administrations. De plus, le règlement RRF prévoit que la cohérence soit un des 11 critères d’évaluation des plans (trois Etats membres ont reçu un score B).
En ce qui concerne le règlement RPCD/CPR[2], celui-ci stipule que c’est l’accord de partenariat qui doit assurer les complémentarités. En réalité, ces dernières sont relativement faciles à mettre en œuvre vis-à-vis des programmes financés par les fonds nationaux ainsi qu’entre les programmes opérationnels financés par le FEDER/FC et le FSE. Cela est surtout dû au fait que nous nous trouvons dans le cas de programmes pluri-fonds. Certains Etats membres ont même prévu des incitations spécifiques, comme par exemple un score plus important dans la sélection des projets qui s’appuient sur des synergies inter-fonds. Toutefois, les synergies avec les autres programmes communautaires (LIFE, ERASMUS+, EASI) sont plus compliquées à mettre en œuvre. Nous pouvons compter sur les résultats positifs de l’expérimentation en 2014-2020 avec le «Seal of Excellence» du programme Horizon 2020 utilisant les fonds FEDER/FSE en alternative aux fonds communautaires.
Etant donné que les programmes des fonds structurels sont, à ce jour, encore en phase d’élaboration, il n’est pas surprenant que lors de la présentation de leur plan de relance, les Etats membres se soient limités à des descriptifs plutôt succincts des complémentarités et synergies entre le RRF et les fonds de la politique de cohésion[3]. Le fait que les fonds RRF soient souvent gérés par des structures différentes de celles qui gèrent les fonds structurels ne facilite naturellement pas la tâche. Toutefois certains Etats membres ont développé des stratégies spécifiques de démarcation[4].
Les options de complémentarité et synergies
Comment délimiter au mieux le RRF et les fonds structurels?
La méthodologie de délimitation/démarcation entre le RRF et la politique de cohésion pourrait tenir compte de plusieurs éléments. Premièrement, il pourrait y avoir une délimitation/démarcation thématique qui réserve certains domaines de financement exclusivement au RRF. Une première approche pourrait se baser sur les domaines qui ne sont plus soutenus par la politique de cohésion en 2021-2027. Par exemple, le RRF est en mesure de financer la modernisation de l’administration publique tandis que ceci n’est plus possible pour les fonds structurels puisque l’objectif thématique 11 (Administration publique) n’est plus retenu pour la période 2021-2027. Le FEDER/FC, dans son article 7, a exclu certains champs d’intervention. Le plan letton réserve le soutien au logement social et à la désinstitutionalisation uniquement aux fonds structurels dans la logique d’intervention thématique de l’objectif stratégique 4. En Wallonie, le RRF permettra de doter la région d’infrastructures de pointe en matière de formation (ce que le FSE ne peut assurer) ainsi que de renforcer le soutien du FSE+ à la formation dans des domaines bien spécifiques (biotechnologie et santé). Enfin, le plan tchèque prévoit de financer les projets « Seal of Excellence » du programme Horizon Europe exclusivement à travers le RRF et non pas avec le FEDER.
Deuxièmement, il pourrait y avoir un domaine d’intervention commun entre le RRF et la politique de cohésion mais avec une démarcation territoriale. Dans le plan de relance français, le RRF se concentre sur la mobilité douce en zone rurale tandis que le FEDER la finance en zone urbaine. Le plan portugais prévoit la transition numérique de l’administration publique nationale avec le RRF tandis que le FEDER soutiendra les administrations locales. Il est utile de rappeler ici que le RRF n’est pas tenu de concentrer ses ressources dans les régions moins développées (LDR), ceci restant naturellement le principe de base pour les fonds structurels.
Une troisième manière de bien démarquer les sources de financement se concrétise en faisant une distinction entre les typologies de bénéficiaires. La similitude dans des projets RRF et FEDER pourrait conduire à s’adresser aux mêmes bénéficiaires publics et privés mais des distinctions plus marquées pourraient être établies. En ce qui concerne l’efficacité énergétique dans les bâtiments, le RRF vise souvent les bénéficiaires publics tandis que le FEDER vise plutôt les bénéficiaires privés. Ainsi, le plan allemand soutient l’efficacité énergétique des bâtiments résidentiels avec le RRF tandis que le soutien aux bâtiments non-résidentiels revient au FEDER.
Une quatrième méthode, qui n’est pas dominante, consiste à utiliser, pour les mêmes projets, en premier lieu le RRF et, les fonds structurels par la suite. Cette méthode repose sur les échéances temporelles plus courtes qui incombent au RRF puisque les résultats des projets doivent pouvoir être atteints d’ici fin 2026. A contrario, l’horizon d’éligibilité des fonds structurels s’étend jusque fin 2029. Le plan portugais, par exemple, soutiendra les investissements initiaux dans le secteur de l’hydrogène avec le RRF mais compte y donner suite avec la politique de cohésion.
Toutefois, le plan de relance européen NGEU a libéré des ressources connues comme REACT-EU pour la cohésion qui doivent être utilisées dans le cadre de la programmation 2014-2020 et donc dépensées avant 2023. Il y a donc un chevauchement entre le calendrier REACT-EU et celui du RRF. Ceci pourrait bien être un premier test pour analyser si les deux «project pipeline» sont bien alignés.
Il reste naturellement la méthode au cas par cas mais elle ne devrait être utilisée qu’en dernier recours car elle demande un effort de coordination additionnel.
Un même projet avec le soutien des deux fonds?
Il est possible d’accroitre cette complémentarité grâce à l’article 9 du RRF, qui prévoit qu’une réforme ou un investissement financé par le plan de relance puisse également recevoir le soutien d’autres programmes communautaires[5]. Un article similaire est prévu à l’article 63.9 du règlement CPR. Le plan de relance italien prévoit que les projets de recherche et développement R&D soutenus par le RRF puisse bénéficier à la fois d’une réduction d’impôts dans le cadre du RRF mais aussi d’autres fonds communautaires comme le FEDER. Toutefois, la réduction d’impôts ne pourra pas faire référence aux dépenses déjà soutenues par des financements publics nationaux ou communautaires.
Une contrainte importante est d’éviter le double financement des coûts («double-funding»). Il s’agit d’assurer une coordination suffisante entre les administrations, une séparation systématique des sources de financement ainsi que des contrôles croisés[6]. Cet aspect des systèmes de contrôle et d’audit vont faire eux-mêmes l’objet de contrôles de la part de la Commission européenne.
Il est possible que les projets bénéficiant du principe de complémentarité soient soumis à la Commission européenne lors de la présentation du Plan. Ainsi, le plan de relance autrichien prévoit une mesure pour la construction et l’électrification des lignes ferroviaires régionales «Koralmbahn». Ce projet bénéficie déjà du programme CEF («Connecting Europe Facility») mais recevra des fonds RRF pour des tronçons additionnels. Les éléments fournis ex-ante par l’Autriche ont été suffisants pour assurer le respect de non-double financement. Il est néanmoins essentiel que l’Etat membre mette en place des mécanismes et des procédures pour prévenir le double financement.
Cette option de plusieurs fonds dans un même projet reste, toutefois assez limitée car elle nécessite inévitablement d’aligner le calendrier des différents fonds, ce qui est assez complexe et nécessite une approche top-down.
Conclusion
Compte tenu des défis d’absorption des ressources, les Etats membres se doivent de fournir un effort pour soutenir la complémentarité et simplifier la mise en œuvre afin de maximiser l’utilisation et ainsi l’impact des deux fonds. Les complémentarités et synergies peuvent s’appuyer sur une délimitation thématique, territoriale , ou bien encore liée à la typologie du bénéficiaire ou au calendrier des opérations. En outre, l’option qu’une réforme ou un investissement soient soutenus par les deux fonds est toujours possible.
Bien que le RRF et la politique de cohésion opèrent avec des mécanismes de gestion différents, nous pouvons compter sur le fait que le RRF s’appuie souvent sur des structures communes et qui opèrent donc depuis longtemps dans les fonds structurels. Cette longue expérience sera utile pour renforcer la stratégie de démarcation mais aussi pour guider les bénéficiaires sur le terrain, pour simplifier les contrôles et pour prévenir des risques de double financement.
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[1] Le dernier accord du Conseil Européen de décembre 2021 prévoit un budget de 330 milliards € (issus du CFP) consacré à la politique de cohésion, auxquels viendraient s’ajouter 17,52 milliards € du Fonds pour une transition Juste (FTJ) et 750 milliards € du plan de relance (capitaux levés sur les marchés financiers).
[2] Art 5.3 du règlement CPR
[3] https://cpmr.org/cohesion/cpmr-presents-in-depth-analysis-on-the-national-recovery-and-resilience-plans/29175/
[4] Les réformes prévues dans les plans de relance vont renforcer l’impact sur la politique de cohésion. En Wallonie, la réforme proposée dans le RRF permettra notamment d’encadrer le développement des approches innovantes en matière de lutte contre le chômage de longue durée par une approche pilote s’inspirant du dispositif « Territoires zéro chômeurs de longue durée » repris dans le programme FSE+ Wallon.
[5] Les fonds du RRF ne peuvent pas couvrir le co-financement des opérations des fonds structurels
[6] Art 18.4 du règlement RRF