Négocier plus intelligemment : l’IA pourrait-elle changer la donne ?

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L’avènement rapide de l’intelligence artificielle (IA) a suscité de profondes transformations dans diverses facettes du travail, y compris dans le domaine des négociations. Avec l’intégration progressive des technologies de l’IA dans les processus professionnels à l’échelle mondiale, un changement de paradigme affecte la manière dont les institutions et les entreprises conçoivent leur stratégie et leur capacité à accéder à de nouvelles opportunités par le biais de négociations.

L’IA est un élément clé de la transition numérique et une priorité pour l’Union européenne (UE). Dans une communication publiée en janvier 2024, la Commission européenne a récemment mis en évidence la manière dont les systèmes d’IA sont déjà utilisés au niveau interne. Par exemple, pour la réalisation de traductions et de résumés, ils ont recours à eTranslation et eSummary. L’IA Publio répond aux questions des citoyens qui souhaitent en savoir plus sur l’UE, son fonctionnement et ses habitants. Un autre exemple est DORIS Drive-in, qui est utilisé pour analyser les commentaires envoyés par les citoyens européens via l’analyse des sentiments, l’extraction de mots clés et la synthèse de documents.

Plus qu’une simple sensibilisation à l’IA, les entreprises et les administrations publiques doivent développer leur culture de l’IA afin d’améliorer leurs capacités de négociation et d’atteindre leurs objectifs, comme l’a souligné Michaela Sullivan-Paul, chercheuse de l’IEAP sur les Protections numériques et la Cybersécurité, dans son dernier article.

Dans tout processus de négociation, les négociateurs et leur(s) équipe(s) doivent avoir accès à de nombreuses informations pour traiter des questions multidimensionnelles – c’est là que l’IA peut apporter une valeur ajoutée pendant la phase de préparation des négociations. Alors que nous naviguons dans ce paysage dynamique, il devient de plus en plus évident que la synergie entre l’intelligence humaine et l’intelligence artificielle a le potentiel de débloquer de nouvelles façons d’élaborer une stratégie ainsi que des méthodes pour améliorer les résultats escomptés lors de négociations dans le futur.

robot hand playing chess with human hand

Qu’est-ce que l’IA ?

Il n’existe pas de définition universelle de l’IA. La législation sur l’intelligence artificielle définit un système d’IA comme « un système automatisé conçu pour fonctionner à différents niveaux d’autonomie, qui peut faire preuve d’une capacité d’adaptation après son déploiement et qui, pour des objectifs explicites ou implicites, déduit, à partir des données d’entrée qu’il reçoit, la manière de générer des résultats tels que des prédictions, du contenu, des recommandations ou des décisions qui peuvent influencer les environnements physiques ou virtuels » – ce qui correspond à la dernière définition de l’OCDE.

Les outils d’IA peuvent-ils apporter une valeur ajoutée aux négociations ?

La valeur ajoutée potentielle des systèmes d’IA se traduit par le fait que de petites différences dans la qualité des données et des informations mises à la disposition des négociateurs peuvent avoir un impact important sur le résultat global de négociations. Cette valeur ajoutée peut être analysée à travers les axes calculatoire, social et procédural, une approche tridimensionnelle que nous avons abordée de manière détaillée dans cet article.

  • Impact sur l’axe social

La sensibilité culturelle doit toujours être prise en compte, tout au long du processus de négociation. En l’occurrence, l’assistant informatique alimenté par IA peut aider les négociateurs à mieux interagir avec des parties issues de milieux culturels différents, et à améliorer la sensibilité culturelle en permettant aux négociateurs de mieux comprendre les nuances sociales et culturelles, qu’elles soient exprimées par le langage, les coutumes sociales ou les traditions diplomatiques, par exemple.

Pour comprendre les nuances de la langue, y compris l’argot, les expressions idiomatiques et les références culturelles, les systèmes d’IA utilisent le traitement automatique des langues (TAL) pour fournir des indications sur les manières les plus appropriées de communiquer, selon l’inférence statistique. Ils peuvent, par exemple, suggérer des listes de mots à (ne pas) utiliser et des explications sur l’importance de la communication non verbale (par exemple, l’utilisation de gestes corporels spécifiques ou la gestion de la proxémie dans les interactions sociales) en fonction de la culture des participants aux négociations.

Les systèmes d’IA pourraient également s’avérer utiles pour se faire une meilleure idée des différences culturelles dans la perception de négociations et des résultats escomptés. Par exemple, la séquence entre les tours de table formels et informels ou la gestion du temps peuvent être perçus et gérés différemment par les différentes personnes prenant part aux négociations. En outre, en traitant une grande quantité de données disponibles en ligne sur les relations existant entre les parties prenantes, ces outils d’IA peuvent mettre en évidence des tendances clés ou des conseils qui peuvent aider les négociateurs à comprendre la bonne manière d’aborder le processus de négociation en fonction de considérations contextuelles.

  • Impact sur l’axe procédural

Les analyses basées sur l’IA peuvent être utilisées pour mieux comprendre le contexte logistique d’une négociation. La phase de préparation de toute négociation doit accorder une attention particulière au cadre logistique, comme l’impact éventuel du lieu sur les négociations en question. Par exemple, des négociations bilatérales ou multilatérales nécessiteront des besoins logistiques différents en termes de coordination, de règles, d’établissement de l’ordre du jour ou d’interprétation et de médiation éventuelle. Ces informations concernant les règles explicites pourraient être étayées par l’IA qui pourrait fournir des informations sur les règles formelles, les normes sociales et les conventions non écrites.

L’IA peut révéler des informations contextuelles utiles pour les négociations, notamment les styles de communication, la dynamique du pouvoir ou l’établissement de l’ordre du jour. Grâce à l’utilisation d’algorithmes d’apprentissage automatique pour l’analyse des choix linguistiques, du temps de parole et des interruptions, les systèmes d’IA sont en mesure de tirer des enseignements des expériences de négociation passées et d’identifier des schémas récurrents dans les dynamiques de pouvoir entre les participants. En outre, le processus de décision tend à être plus simple et plus direct dans des contextes bilatéraux. En revanche, dans un contexte multilatéral, la recherche de consensus a tendance à être assez complexe et à nécessiter davantage de temps en raison du nombre de parties prenantes impliquées, ce qui impacte souvent la durée des processus. De plus, l’IA peut expliquer rapidement le contexte décisionnel en résumant les informations fournies par les fonctionnaires et les documents accessibles au public concernant les règles de procédure formelles.

  • Impact sur l’axe calculatoire

En ajoutant ces détails aux systèmes d’IA, ceux-ci pourraient simuler des scénarios de négociation avec diverses options basées sur des critères spécifiques liés à différents contextes plausibles. En tenant compte des informations relatives à la question discutée et à la position de chaque négociateur représentant une des parties prenantes, cet exercice peut contribuer à former les négociateurs par le biais de simulations et de scénarios de négociation et ce, en les dotant des outils et des pratiques qui leur permettront de réussir des négociations dans un contexte réel.

Grâce à l’attribution de rôles et à une communication simulant le processus de négociation, les négociateurs sont en mesure d’analyser les forces et les faiblesses de leur stratégie, ce qui peut les inciter à prendre les mesures les plus appropriées pour réajuster leur stratégie. Cependant, dans la réalité, une négociation implique un grand nombre de facteurs – qu’ils soient anticipés ou non – et l’IA n’est pas en mesure de tous les anticiper. Néanmoins, ces simulations permettent de générer de nouvelles idées et options à prendre en compte lors des prochains cycles de négociation.

Avec l’utilisation d’une IA multimodale, des outils spécifiques peuvent aider les négociateurs au-delà de la génération de textes. Bien que l’utilisation de l’IA dans les négociations ne soit pas encore courante et acceptée, les systèmes d’IA utilisant le TAL possèdent des fonctionnalités, telles que la recherche d’informations en temps réel ou l’analyse de la communication, qui peuvent fournir des conseils et des suggestions en temps réel aux négociateurs par le biais de la synthèse vocale, ce qui permet aux négociateurs de converser directement avec les systèmes d’IA. Ce type d’IA peut analyser le dialogue, identifier de nouvelles questions, suggérer des tactiques de négociation potentielles et formuler des recommandations personnalisées pour améliorer l’efficacité des négociations, communiquées par le biais de la parole et du texte.

two men shaking hands with artificial intelligence cloud

Quels sont les éventuels écueils ?

L’IA soulève des considérations d’ordre éthique lors de son utilisation dans les négociations, notamment en termes de transparence, d’équité et de responsabilité. Le fonctionnement des algorithmes et la collecte des données sont généralement effectués dans une relative obscurité par le fournisseur. En d’autres termes, il est difficile pour les utilisateurs et les distributeurs de systèmes d’IA d’évaluer pleinement les risques et les lacunes potentiels. En outre, de par sa formation, l’IA peut reproduire et générer des discriminations et des préjugés sociaux. Les éléments entrant dans la formation d’un système d’IA peuvent varier considérablement d’un fournisseur à l’autre, ce qui laisse supposer des choix techniques et fonctionnels différents de la part de chaque fournisseur et, ainsi, des conséquences différentes sur la propagation possible de préjugés. L’IA est conçue pour fournir des informations basées sur de grandes quantités de données. Si ces données manquent de précision ou ne sont pas suffisamment représentatives, les résultats seront probablement affectés. Les négociateurs doivent être conscients des lacunes fonctionnelles inhérentes à l’IA afin d’éviter l’utilisation d’informations inexactes, ce qui pourrait avoir une incidence directe sur les résultats de négociations.

Pour pallier ces lacunes, les négociateurs doivent apprendre à se servir de ces outils d’IA de la manière la plus éthique possible. Pour ce faire, il est nécessaire de comprendre le fonctionnement de l’IA et la manière de l’exploiter pleinement – un peu comme au début d’une collaboration avec une nouvelle partie prenante – comme l’a souligné Michaela Sullivan-Paul en évoquant les connaissances nécessaires en matière d’IA pour les organismes publics. Il existe des moyens de communiquer et de collaborer. La formulation de la demande est une condition essentielle pour la qualité et la pertinence des résultats de l’IA, ainsi que pour le niveau de détail de sa réponse ultérieure. Lorsqu’il adresse une demande à un assistant d’IA, l’utilisateur doit fournir des informations générales utiles et expliquer clairement sa requête afin de maximiser les apports de l’IA.

Le succès de négociations internationales dépend d’une multitude de facteurs. Plus le nombre de participants à des négociations augmente, plus il est difficile pour les outils d’IA de fournir des informations pertinentes. La communication verbale et non verbale, les sous-entendus, les règles implicites, les traits de personnalité, les références culturelles et les préjugés sont autant de facteurs importants pour la réussite de négociations. Et l’IA ne peut pas être d’une grande aide à cet égard. La dépendance des négociateurs à l’égard de la qualité des données ou le manque de compréhension émotionnelle et sociale sont quelques-unes des limites inhérentes à l’utilisation de l’IA. Le déroulement d’une négociation dépend largement de la maîtrise des conditions émotionnelles, culturelles et sociales, autant de facteurs pour lesquels les capacités de l’IA restent limitées.

sticky note with emotional intelligence written on it next to a drawing of a brain with cogs

Par conséquent, comment l’IA pourrait-elle être utilisée dans les processus de négociation ?

En conclusion, l’IA doit être considérée pour ce qu’elle est : un ensemble d’outils utiles pour préparer des négociations. Comme tout outil, l’IA est utile pour un ensemble spécifique et limité de tâches. Lorsqu’elle est mal utilisée, l’IA ne permet pas d’améliorer le processus de négociation et, dans le pire des cas, elle peut même y nuire. La supervision et l’implication humaines dans l’optimisation des résultats de l’IA restent nécessaires pour la stratégie finale.

L’IA va continuer à évoluer rapidement, tout comme la société, en réponse aux avancées technologiques. Tout en restant conscients des limites inhérentes à l’IA, les négociateurs peuvent envisager de suivre de près l’évolution de l’IA et d’utiliser l’IA à bon escient afin de faciliter une partie de leur travail. En conséquence, le choix ne semble pas vraiment porter sur la question de savoir s’il faut ou non surfer sur la vague, mais plutôt sur la manière de prendre cette vague pour éviter de s’écraser sur le sable !

 

Nous remercions tout particulièrement Michaela Sullivan-Paul, chercheuse à l’IEAP sur les  Protections numériques et la Cybersécurité, pour sa relecture et son expertise.

 

Do you have questions? Do not hesitate to contact the Negotiation Team at negotiationteam@eipa.eu

 

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